الحضارة الفينيفية المنسيَة

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الخميس، 25 مايو 2017

Qui est la princesse Europe des billets de 20 € ?

Qui est la princesse Europe des billets de 20 € ?
CORRESPONDANCE À BEYROUTH, BACHIR EL-KHOURY
Originaire de Tyr, une ville côtière du Sud-Liban, la princesse Europe figure 
désormais sur les nouveaux billets de 20 € imprimés par la Banque centrale
 européenne (BCE). Une initiative qui rappelle les liens forts et les échanges 
ayant existé entre Orient et Occident.
Le 25 novembre, la Banque centrale européenne (BCE) a mis en circulation d
e nouveaux billets de 20 € dont le filigrane est frappé de la figure mythologique
 d’Europe, fille du roi phénicien du royaume de Tyr, ville côtière située dans le 
sud du Liban actuel. Cette impression, qui s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle 
série baptisée Europa, sous le thème « Époques et Styles » – des coupures de 5 et 10 € 
ont déjà été mises en circulation en 2013 et en 2014 – marque l’historicité du mythe
 et l’origine étymologique du nom donné aux Vieux Continent, même s’il s’agit avant 
tout d’une volonté de lutter contre le faux monnayage.
Les billets de 20 €. (Photo : BCE)
« Cette nouvelle série comporte des fonctionnalités de sécurité améliorées qui 
contribueront à mieux lutter contre la contrefaçon, même si celle-ci reste très 
faible en comparaison avec le nombre croissant de billets authentiques en 
circulation, qui ont atteint plus de 17 milliards à la mi-2015 », explique 
William Lelieveldt,de la BCE.Mais les considérations historiques et esthétiques n’ont pas manqué au processus, l’objectif étant également d’ajouter une touche d’humanité à travers le portrait d’une déesse qui symbolise l’unité européenne. « La BCE a commandé une étude au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, sur l’œuvre originale d’un vase grec trouvé dans les Pouilles, en Italie. L’image sélectionnée pour le nouveau billet est un détail d’une scène mythologique peinte sur ce vase », précise le porte-parole de l’institution.
Sur ce vase peint par Iliupersis vers 360 avant J.-C., qui se trouve actuellement au
 Musée du Louvre, figurent Europe et Zeus métamorphosé en taureau (Face A, en haut),
 ainsi que Dionysos, ménade et satyre (face B, en bas).
L’amour entre Zeus et Europe
Sur l’une des scènes du vase d’Iliupersis figure la séduisante princesse Europe, la fille
 d’Agénor. Selon la mythologie grecque, celle-ci a été enlevée par Zeus, alors qu’elle se promenait au bord de la mer. Ébloui par sa beauté, le dieu suprême de l’Olympe se métamorphose alors en taureau, avant de s’envoler avec sa captive jusqu’en Crète, où il s’unit à elle.
C’est ainsi qu’émerge le nom Europe, utilisé d’abord par les Grecs de l’Antiquité pour
 désigner une zone géographique spécifique, avant qu’il ne soit généralisé à l’ensemble du continent. La légende se poursuit avec l’expédition menée par les frères d’Europe pour retrouver leur sœur, à la demande du roi Agénor, dont le prince Cadmos.
L’enlèvement d’Europe par le Titien (1559-1562). (Photo : Wikimédia)
Après des efforts vains, ce dernier décide, dans une ultime tentative, d’offrir l’alphabet inventé par les Phéniciens aux Grecs connu plus tard dans les cités hellènes sous le nom de phoinikeïa grámmata ou « lettres phéniciennes ».
Ce récit est relaté dans les écrits de l’historien grec Hérodote : « Ces Phéniciens venus avec Cadmos […] introduisirent chez les Grecs […] beaucoup de connaissances ; entre autres celle des lettres, que les Grecs, autant qu’il me semble, ne possédaient pas auparavant. […] » (1)
Cadmos apportant l’alphabet aux Grecs ; Tyr (Phénicie), 244-249 ap. J.-C. (Bibliothèque 
nationale de France, département des Monnaies, Médailles et Antiques)
La « colonisation » phénicienne de l’Europe
Entre mythe et réalité, l’histoire de la déesse Europe renvoie vers les liens
 économiques, culturels et historiques entre le bassin est de la Méditerranée 
et le Vieux Continent mais aussi à l’histoire complexe des échanges qui sous-tendent
 la construction de l’identité européenne. Ces liens ancestraux, qui remontent à
 plusieurs milliers d’années, selon les spécialistes, ont connu un essor particulier
 durant l’époque phénicienne.
« Les relations les plus anciennes avec l’Europe actuelle ont émergé avec l’île de 
Crète au IIe millénaire, à l’époque de l’âge du bronze moyen, et Mycènes, en Grèce 
continentale. Mais la grande expansion démarre à partir de 1200 av. J-C, durant l’âge 
de fer, avec une présence phénicienne attestée sur le plan archéologique », 
précise Hélène Sader, spécialiste de la langue et de la culture phéniciennes à
 l’Université américaine de Beyrouth (AUB).
Mosaïque retrouvée dans la ville de Byblos au Liban, datant de l’époque romaine
 et représentant l’enlèvement d’Europe par Zeus (Musée national de Beyrouth, IIIe siècle av. J-C)
Partis à la base à la recherche de matières premières, ces commerçants aguerris
 vont sillonner toute la Méditerranée dépassant le détroit de Gibraltar, jusqu’à 
atteindre les îles Canaries dans l’Atlantique. Sur leur passage, ils fondent des 
comptoirs et des ports dans plusieurs villes côtières, dont à Carthage et Utique
 (Tunisie actuelle), Modica (Sicile) et Cadix (Espagne), toutes deux riches en métaux,
 ainsi qu’à Lixus et dans l’île de Mogador (Maroc).
Paysage avec l’enlèvement d’Europe par Hendrik van Minderhout. (Photo : Wikimédia)
Grand empire colonial
Selon certains ouvrages, la « conquête phénicienne » a même atteint les côtes 
anglaises. Des Carthaginois seraient, en effet, arrivés jusqu’aux îles britanniques
 pour importer de l’étain, rapporte l’historienne espagnole Maria Eugeniat Aubet 
dans son livre The Phœnicians and the West. « Il ne s’agissait pas pour autant de 
colonisation, comme certains la décrivent, mais plutôt d’une expansion commerciale
. Ces cités n’ont pas été annexées. Seule Carthage entretenait une relation très forte
 avec la Métropole de Tyr. Ses habitants versaient même des impôts au temple du dieu 
Melkart », précise Hélène Sader.
« Cette expédition à caractère économique s’est néanmoins accompagnée d’un certain 
apport culturel, religieux et linguistique », souligne-t-elle. Qu’il s’agisse des techniques 
architecturales adoptées à Carthage ou à Modica, des traditions funéraires au sud de
 l’Espagne, notamment la crémation, ou de religion et d’écriture, celles-ci étaient le 
propre des habitants du littoral levantin. « Les habitants de ces cités vénéraient les
 dieux phéniciens dont Baal, Adonis, Astarté et Echmoun », précise la spécialiste.
De l’Est à l’Ouest
Pour d’autres, l’apport fut bien plus important. « Ce sont les Phéniciens qui ont déplacé le centre de la civilisation de l’Est à l’Ouest », souligne ainsi le journaliste Alain Gresh, dans un article intitulé Comment l’Orient et les Arabes ont découvert l’Europe, inspiré du livre de Warwick Ball, Out of Arabia : Phoenicians, Arabs and the Discovery of Europe.
Carte extraite du livre « The Phoenicians and the West » de l’historienne Maria Eugeniat Aubet, montrant les principales cités phéniciennes du pourtour méditerranéen à l’apogée de cette expansion, vers le VIIIe siècle avant J-C.
« Les Phéniciens ont créé le premier grand empire colonial en Méditerranée et sur les rives de l’Atlantique. […] Ils ont civilisé en premier lieu l’Espagne, une terre développée (ce que n’étaient ni la Gaule ni la Grande-Bretagne) quand elle sera conquise par les Romains ; c’est à cette tradition que l’Espagne devra son expansion ultérieure vers l’Ouest et la découverte des Amériques […]. Ce sont aussi les Phéniciens qui sont les inventeurs, bien avant les Grecs, des cités « planifiées » », ajoute-t-il.
La Constitution de Carthage
Cette dimension civilisationnelle est également soulignée dans les écrits d’Hérodote, lorsqu’il évoque les livres de la ville de Byblos (Liban) : « Les Ioniens appellent les livres de Biblos (papyrus) diphtères, parce que jadis […] ils employaient des peaux, peaux de chèvres ou de moutons ; encore de mon temps, beaucoup de Barbares écrivent sur cette sorte de peaux. »
La chute de Carthage en 146 av. J-C, face à Rome, marque toutefois la fin de la domination phénicienne, qui aura duré près d’un millénaire. Les liens et les échanges se poursuivent néanmoins durant l’ère hellénistique et romaine. « Selon Aristote, le pouvoir en Grèce s’est inspiré de la Constitution de Carthage, tandis que les Romains ont adopté le traité d’Agronomie carthaginois », précise Hélène Sader.
Présentation de l’exposition « Le nouveau visage de l’euro » à La Haye. (Photo : BCE)
Durant la fin du IIe siècle, une nouvelle dynastie s’imposa à Rome, celle de Septime Severe,membre d’une famille phénicienne. Ce dernier va créer l’école de droit de Beyrouth,« qui est à l’origine de la jurisprudence romaine, donc européenne, dont le traité de Justinien »,indique Alain Gresh.
Après les conquêtes musulmanes, les rapports, quoique plus mouvementés, se poursuivent entre les deux rives de la Méditerranée. Pour Hélène Sader, l’apport des Arabes n’est pas moins important, surtout celui des philosophes qui ont conservé et traduit, du temps des Abbassides, des manuscrits grecs, transmis plus tard, durant la conquête musulmane de la péninsule ibérique. « Ces textes auraient pu disparaître, alors que l’Europe traversait une période de déclin, liée, entre autres, aux grandes invasions barbares du IVe et Ve siècle par les Wisogoths, les Vandales et d’autres peuples du Nord. »
La fin de l’Âge sombre
Certes, au fil des siècles, le rapport de force et l’origine des échanges entre Orient et Occident a largement évolué, à la faveur de ce dernier. La prise de Bagdad par les Mongols, en 1258 et la disparition du califat Abbasside vont, en effet, consacrer une période de décadence (Inhitat) dans le monde arabe, qui durera jusqu’au XIXe siècle.
Pour l’Europe, c’est au contraire la fin de « l’Âge sombre » et le début, dès le XVe siècle,d’une longue période d’effervescence culturelle, politique et sociale. Entre ces deux mondes, le fossé ne va cesser de se creuser, jusqu’au XXe siècle. En 1948, la création de l’État hébreu marque le début d’une hostilité croissante vis-à-vis de l’Occident, exacerbée par les prétentions expansionnistes du Vieux Continent et sa toute puissance économique.
Europe sur le taureau, terre cuite d’Athènes, 480-460 av. J.-C., Staatliche Antikensammlungen.
 (Photo : Wikimédia)
Malgré cette défiance partagée et la tentation de ne voir entre ces deux mondes qu’une ligne de fracture, certaines initiatives visent à perpétuer ces liens. En 1995, l’accord de Barcelone va ainsi donner vie à la politique européenne de voisinage (PEV). Le visage d’Europe sur les billets d’euros va désormais dans le même sens. Il rappelle, au moins symboliquement, l’existence d’un héritage commun, nourri au fil des siècles d’influences et d’échanges réciproques, à une époque où le clivage Orient-Occident atteint désormais des sommets.
(1) Histoires, V, 58.